Surprenant le joueur de flûte, les lèvres de Momoe s'ourlèrent en un léger sourire lorsque Feng se défit de son attribut de noblesse. Visiblement, l'officier était un homme simple, mais quelque chose dans son attitude le trahissait déjà. Peu de noble prendrait la peine à venir s'assoir sur les toits moussus des bâtisses de la capitale, d'autant plus pour échapper à quelques subalternes.



Momoe n'était point là pour juger la décision de son camarade, il était à même de savoir si son attitude était bonne ou non, et elle supputait qu'il devait avoir ses raisons. Elle se contenta alors de simplement jouer le jeu de l'ignorance, principalement parce qu'elle savait que cela ne prêtait pas à conséquence.



Momoe n'avait eu l'occasion de la remettre élégamment en place en lui rappelant les règles de ses lieux. La remontrance avait été bien légère, et il n'était pas certain qu'elle le soit encore si cela devait se répéter une prochaine fois. En attendant, il semblerait que le maître essaya de la corrompre autour d'un verre. Peut-être y avait-il finalement une certaine corrélation entre l'officier et ceux qui officiaient sous ses ordres ? La légèreté en faisait visiblement partie.



La Fujiwara fut saisie soudainement d'un sentiment de culpabilité, l'idée était fort tentante...



Sans rajouter mot, la jeune femme vint prendre place aux côtés de son camarade, marquant ainsi sa façon d'accepter l'invitation. C'était une fois assise qu'elle se décida à dévoiler son nom, nom qui semblait faire défaut à la mémoire de Hua Feng... mais elle n'était pas en position de lui en vouloir.



Laissant ce dernier lui servir le verre de la corruption, la shinigami préféra s'abandonner à une conversation plus légère, allant de corps avec la situation.

L'aveu, tout juste dissimulé de la part de Feng, fit légèrement sourire la jeune femme. Il fallait dire que le lieutenant ne semblait guère manquer de culot pour ainsi confirmer qu'il comptait bien réitérer le manquement de ses obligations administratives - ou quelques autres, qu'importait la nature - et Momoe reconnaissait bien volontiers qu'elle préférait s'en esquisser l'idée que de devoir en jouer l'affront.

Ainsi, le Hua alla même lui proposer de participer à cet aparté dans le temps qu'il s'accordait, et au-delà d'écouter simplement son air de musique, il l'invitait à prendre un verre en sa compagnie, chose pour laquelle elle fut pleine d'hésitation. Il tenta d'ailleurs de la rassurer à ce sujet, lui accordant le secret de cet écart, tout en précisant que ce qu'il tenait entre ses mains étaient une rareté. N'aurait-il pas été dommage de passer à côté d'une telle occasion ?



Tandis qu'elle finit par prendre place auprès de son camarade, ce dernier s'excusa de ne pas avoir retenu son nom, chose à laquelle elle agita négativement la tête, marquant ainsi le fait qu'elle n'en ressentit aucune insulte. La Fujiwara était après tout une shinigami discrète, demeurant dans l'ombre de ses pairs pour pouvoir faire son office. C'était peut-être même là sa volonté. Elle ne cherchait aucune gloire, aucune reconnaissance, toujours portée par le poids de sa culpabilité d'antan. Humaine, elle avait été quelqu'un, et elle avait échoué. Elle ne méritait donc en rien d'être "reconnue".



La jeune femme finit par lui offrir un léger sourire, levant son verre puisqu'il était question qu'il devint ami de boisson. La doctoresse ne fit pas prier et trempa ses lèvres dans la coupelle pour en apprécier le baiju. Le shinigami n'avait ainsi pas menti, car elle reconnut dans le breuvage toute sa qualité, lui rappelant qu'autrefois, elle était capable de rire avec les hommes et femmes sous ses ordres, autour de verre comme celui-ci. Cela faisait partie des petits plaisirs qu'elle se refusait généralement, sans pour autant totalement se l'interdire. Tout n'était qu'affaire d'occassions manquées.

Revenant sur le sujet principal de sa venue, soit la musique, elle ne manqua à naturellement complimenter le compositeur. Toutefois, elle ne cacha pas le fait qu'elle fut troublée quand il évoqua les raisons qui le poussait à jouer de temps à autre, loin de ses subordonnées qui ne saisissait pas toujours le besoin profond qu'il ressentait à devoir s'isoler.



Le regard céruléen de Momoe vint se perdre quelques instants dans sa coupelle, avant d'en boire une nouvelle gorgée. Peut-être devrait-elle se hâter de finir son verre pour laisser Feng à sa méditation ? D'un autre côté, elle supputait qu'il n'aurait eu aucun mal à lui refuser ce partage si elle s'était montrée trop ennuyeuse pour lui, bien au-delà de ses politesses. Toutefois, quand l'oriental lui demanda si elle avait aussi une façon de se vider l'esprit, elle se sentit un peu confuse.



Momoe se racla un peu la gorge, se rendait compte qu'il y avait quelque chose d'étonnamment risible dans ce choix, comme un aveu manifeste qu'elle ne décrochait que rarement de son travail.



Mais il n'était pas rare aussi pour la jeune femme de s'évader littéralement, n'hésitant pas à satisfaire sa curiosité au détour de quelques voyages, quand bien même il y avait aussi, derrière, quelques envies d'acquérir de nouvelles connaissances.



Un énigmatique petit sourire se profila sur ses traits alors qu'elle regardait l'horizon et la capitale, comme si elle se souvenait quelques reproches que l'on aurait pu lui faire sur le sujet.

Les lèvres de la Fujiwara s'ourlèrent timidement, laissant échapper un énigmatique chagrin, comme si elle portait en elle quelque reproche qui pourrait expliquer son attitude. Quand bien même elle fut touchée par les paroles de Feng, entre gentillesse et pragmatisme, elle estimait qu'elle ne méritait autant de considération. Elle n'y parvenait pas tant elle était habitée par la culpabilité. Malgré le poids des années, elle n'était pas parvenue à oublier le visage des hommes et des femmes qui avaient servi sous ses ordres. Leurs vies avaient été de sa responsabilité alors qu'elle était une figure d'autorité, et elle avait échoué. Quelle vanité serait la sienne d'imaginer qu'elle pouvait encore être de ces gens-là ? La seule raison pour laquelle elle avait accepté son siège était principalement dans sa volonté de pouvoir soutenir efficacement les soldats qui luttaient bien mieux qu'elle ne s'en sentait capable.



La jeune femme tapota de son index délicat le coin de sa tempe, comme pour désigner sa mémoire.



Laissant échapper cet aveu qui ne pouvait conduire qu'à entrevoir que Momoe avait dû faire face à bien des difficultés, elle ne put retenir quelques excuses à l'idée d'être une gêne pour son camarade, chose à laquelle lui-même parut s'étonner. Visiblement, quand bien même il fuyait ses subordonnées, sa présence ne lui causait aucun soucis, chose qui eut vite fait de la rassurer.

Elle finit par sourire à nouveau, avant de boire une gorgée de sa coupelle après avoir expliqué qu'elle n'était pas d'une nature capable de se détendre comme le commun des mortels, ou tout du moins, comme le voudrait la norme. Momoe semblait avoir bien du mal à lâcher prise, et encore une fois, paraissait culpabiliser si elle venait à profiter de son temps, comme une punition qu'elle s'auto-infligeait.



Un véritable tourbillon de réflexion capable d'effleurer des thèmes aussi divers qu'opposés. Si ce n'était pas un objet d'étude à proprement parler, elle pouvait reconnaître qu'elle se mettrait à songer à des choses plus légères. Cependant, tout aussi vite, elle revenait à des choses plus pragmatiques et cérébrales.

Alors, lorsque Feng lui demanda ce qui lui faisait plaisir, elle se retrouva... un peu bête. Elle s'apprêtait à répondre avant de se rendre compte qu'elle n'avait aucune réponse à formuler. Qu'est-ce qui pouvait lui procurer un temps soit peu de plaisir?



C'était alors que ses pensées se mirent à fuser à nouveau, retraçant éventuellement des choses qui lui semblaient agréables. Cela faisait tant d'année qu'elle ne prenait le temps de rien en ce qui la concernait qu'elle ne savait formuler aucun objet d'attention.



Sans nul doute existait-il bien d'autres activités auxquelles elle ne pensait pas, de ces mêmes loisirs dont elle avait pu profiter dans sa vie humaine, allant de la simple balade équestre, au plaisir de lire de la poésie, ou peut-être même à quelques parties de jeu de cartes et de rires en bonne compagnie. Toutefois, Momoe avait oublié qu'elle eut aussi connu des moments de joies.