Tu avais fait mouche. Tu savais que l’argument paresse serait puissant ! Assez pour piquer son intérêt et le faire réfléchir. La contrepartie ? Tu devais remplir ses dossiers, à sa place. Jetant un œil sur la pile de papiers, tu pesas le pour et le contre. Tu détestais la paperasse, plus que tout ... mais tu aimais encore plus pouvoir manger à l’œil et sans limite. Le gain dépassait le coût. Ta main se tendit dans sa direction, avec un sourire confiant.



Tu faisais un bon pigeon pour Hua Feng. Lui, ne pouvait pas résister à ta petite bouille et toi, tu avais bien trop d’admiration pour lui pour refuser de l’aider ou un plan qu’il te proposerait. Sautillant sur place, tu attrapas le bras de ton sensei, encore bien trop confortablement installé, pour le tirer à ta suite.



Avec quelques encouragements et un objectif bien précis, on pouvait tout réussir ! Du moins, c’est comme ça que tu aimais voir la chose, quand bien même ton pauvre petit estomac subirait un sale contrecoups de cette activité imprévue. Ni une, ni deux, tu entraînas derrière toi ton mentor, sans lui laisser la moindre chance de se défendre, dans les rues de la citadelle orientale. Les regards surpris, de voir ainsi les deux sièges courir, se posaient sur vous au cours de votre route.

Rien à faire !

La course fut rapide. Malgré tes petites jambes, tu courrais vite, et encore plus quand il s’agissait de nourriture. Tu n’étais pas la seule visiblement. Car, alors qu’au loin, la silhouette du petit restaurant se dessinait, une foule s’accompagnait avec celle-ci. Des gloutons, venus d’ici et là, dans l’espoir de remplir leurs estomacs des spécialités de l’endroit. Une foule de grandes gaillards principalement, à la corpulence bien plus impressionnante que les votre.

Dans quoi vous étiez vous embarqués ?



Problème : pour s’inscrire, il fallait réussir à passer à travers cette même concurrence, qui agissait comme un mur de chaire entre vous et le comptoir. Un obstacle de plus, avant même de participer au concours en lui-même. Ce n’était pas ça qui allait te décourager ! Non Shinju, tu voulais gagner ! Il te fallait juste demander poliment, pas vrai ?

Relâchant Feng de ta prise pour t’approcher de tes futurs adversaires de goinfreries, te râclant la gorge d’un bon coups, tu te lanças.



Rien. Pas de réponse. À croire qu’ils étaient si grands qu’ils ne pouvaient pas entendre ta voix.



Encore rien. Et ça commençait déjà à te taper sur les nerfs ... Les sourcils froncés, tu remontas tes manches, prête à les forcer à bouger leurs culs toi-même pour t’imposer.

Impatiente ? Oui, tu l’étais ! Toujours ! La maîtrise de tes envies, de tes émotions, tout ça, tu le gardais pour le champs de bataille. Là où tu ne pouvais pas te laisser porter par tes émotions. Où tu devais être calme et réfléchie. Du moins, autant qu’on le pouvait dans une bataille, à la violence parfois si brutale, que les images revenaient te hanter. Alors tu voulais vivre à fond ! Jusqu’au bout ! Profiter de la moindre joie et de la moindre occasion. Même si ça te donnait la réputation d’une shinigami à l’esprit léger, parfois trop.

Au fond, Feng savait sans doute. Il devait comprendre. Il t’avait connu, à l’époque d’une vie morne et vide de sens. Puis pendant la guerre. C’était le genre de chose qui en révélait beaucoup sur toi. Autant que ça en révélait sur lui. Votre relation était familiale. Sincère. Une des choses les plus précieuses à tes yeux.

Il te connaissait si bien qu’il vit sans aucune difficulté l’agacement au fond de tes yeux. Il savait que tu n’avais jamais apprécié ceux qui n’avaient jamais une pensée par les autres. Et donc, il comprit, sans aucune difficulté, que tu allais vite t’énerver contre les géants, qui préféraient t’ignorer complètement plutôt que se décaler. Pourquoi après tout ? Que pouvais-tu faire ?

Ah ah ! On sait nous, ce que tu pourrais faire. La force brutale qui se cache derrière ton doux visage. Ton professeur aussi. C’est pour ça qu’il se décida à t’arrêter, avant que tu ne décides d’agir. Ses paroles étaient calmes. Une manière de te ramener sur le droit chemin et de te rappeler l’innocence toute relative des âmes qui se dressaient entre toi et ton précieux objectif. Il avait raison, mais tu ne pus retenir un petit soupire mécontent.



Un des géant de lança un regard à la fois moqueur et provocateur, comme pour te donner raison, avant de t’ignorer à nouveau. Un comportement qui te donnait envie de lui donner de larges claques, si cela n’avait pas été de la tyrannie. Il valait mieux suivre son plan. Toujours.

C’est pour ça que tu ne cherchas pas à te débattre quand l’homme t’attrapa par le col, comme on le ferait pour un chaton, s’envolant dans les airs pour contourner la foule par le ciel. Lui lançant un petit regard ambié, la mine mi-boudeuse mi-amusée, tu lui fis remarquer.



Mais tu n’étais pas du genre à te vexer pour si peu. Surtout parce que tu percevais ça comme une preuve d’affection de la part de ton mentor. Une manière bien à lui de te garder sous son aile et ce, malgré les années qui se sont écoulées. 350 ans. Ça laissait du temps pour tisser des liens. Et puis, ta réputation, tu n’en avais jamais eu grand-chose à faire ! Alors qu’importe si on te voyait ainsi. La gloire, ce n’était pas ton truc. La quatorzième siège te convenait, et tu cherchais même à y rester. Alors travailler sur ta mauvaise image, c’était parfait pour toi ! Le bingo total !

Tu étais aussi bien contente de reposer les pieds à terre. Enfin, à moitié sur le bras de l’un des gros balourds, qui avait servi de tapis d’atterrissage pour le maître de l’esprit, qui tout fièrement, s’annonça à la demoiselle en charge des inscriptions. Tu saluas celle-ci, d’un petit geste de la main, un grand sourire rayonnant sur les lèvres, ce premier obstacle passé.



Un sourire qui fut réciproque, quand le visage de la serveuse se fit tout aussi lumineux et que son pinceau s’activa sur la liste des participants pour y noter vos noms.



Effectivement, au loin, la mélodie de la cuisine résonnait. Les casseroles qui s’entrechoquaient. Le bouillon frémissant. Le couteau rencontrant encore et encore la planche à découper, en traversant la chaire. Le parfum te mettait l’eau à la bouche et déjà, tu avais du mal à tenir en place.







Au garde à vous, saluant une dernière fois la jeune âme, tu tournas les talons pour rejoindre une des fameuses tables, installées en rang d’oignon et sur lesquelles de larges torchons avaient été posés, en prévision des quantités astronomiques de nourriture qui seraient englouties. Il ne fallut qu’une petite dizaine de minutes pour qu’enfin, tout les participants soient en place, et que le chef sorte enfin le bout de son nez.



Ton regard s’illumina. Des surprises ? De quoi pouvait-il s’agir ? Tu mourrais d’envie de le savoir. Là, tout de suite. De découvrir les réponses à la multitude de questions qui s’écoulait dans ta petite tête. Tu te balanças sur ta chaise, tes pieds tapotant le sol, encore et encore, tout comme tes mains sur la table.

La vie était trop imprévisible pour ne pas en profiter. Tu aimais rester jeune dans ta tête. Vivre les choses à 100% ! Encore plus quand, sur le visage de tes proches, cela dessinait un sourire, ou mieux ! S’ils se mettaient à rire, tu ne pouvais pas t’empêcher de ressentir une vague de joie de traverser. En fait, c’était comme ça depuis toujours. Tu avais voulu tout percevoir sous son angle positif. Garder le bon. Oublier le mauvais, pour continuer d’avancer. L’académie, ça n’a pas toujours été facile pour toi. P’tite orpheline sortie de nulle part, au look et au caractère bien différent de ce qu’on pourrait attendre d’une âme au service de la division Orientale. Il t’a fallu prouver ta valeur et faire taire tout ceux qui osaient remettre en question les choix de Hua Feng. Et tu avais réussi ! Alors oui, l’académie restait un bon souvenir. Une époque qui avait sonné comme une renaissance pour toi. Un nouveau départ dont tu t’estimais terriblement chanceuse.



La flatterie te mènerait loin ! Et le pire, c’est que tu le pensais vraiment. Hua Feng était l’enseignement qui t’étais parfaitement adapté. Sa méthode avait marché avec toi et au fil des siècles, tu avais su t’améliorer. Tu pourrais, si tu le souhaitais, grapiller des sièges mais ... non. Ce n’était pas important, à tes yeux. Par contre, gagner ce concours ... C’était une autre histoire ! Il te fallait motiver ton partenaire. Le faire plonger corps et âme, mais surtout l’estomac, dans la compétition. Tu ne partirais pas d’ici sans la coupe !

Tu étais ce genre de personne. L’abandon ne faisait pas partie de ton ADN. C’est ce qui faisait de toi une bonne shinigami d’ailleurs. Tu ne courbais pas l’échine face à la difficulté. Même au milieu du champs de bataille, tu n’avais pas laissé ton cœurs se laisser aller à la peur. Alors au milieu de la petite salle du restaurant ... Tout était encore plus aisé.

Petit hic : ton maître cherchait déjà à se débiner, reposant un possible échec sur son grand âge. Une stratégie qui fonctionnait peut-être avec les petits nouveaux, mais pas avec toi ! Après 350 ans de relation, on commençait rapidement à connaître l’autre et ses petites fourberies. Et on savait comment s’en protéger ! Tu étais devenue une experte en motivation de Hua Feng, au fil des années.

Faussement surprise, la main devant la bouche pour mimer l’émotion et dissimuler par la même occasion le petit sourire qui s’était dessiné sur ton minois, tu demandes.



Alors que tu l’avais vu, il y a à peine quelques jours de cela, faire des ravages sur le terrain d’entrainement. Il ne te trompait pas ! Pas comme ça !



Et le taquiner sur ce fameux grand âge non plus. C’était des semaines de blagues et de taquineries que risquait le sixième siège, en utilisant cette excuse. À lui de décider le chemin qu’il souhaitait emprunter désormais. De toutes manières, il était bien tard pour fuir, car le concours était lancé.

Déboulant des cuisines les bras chargés, l’équipe de service s’avança d’un pas déterminé vers les tables, sous les applaudissements des quelques spectateurs présents. Dans un bruit sourd, se déposèrent sur votre table de larges bols remplis à rebord de nouilles et de bouillon, au parfum tout simplement divin. Un bol si large que, rien qu’à lui seul, il représentait déjà un sacré défi. D’épaisses tranches de porcs, parfaitement assaisonnées, étaient délicatement posées sur le dessus du plat, invitant à s’y jeter à baguettes perdues !



Un regard lancé vers ton partenaire, ami et maître, un dernier sourire.





Attrapant tes baguettes d’un geste ferme, tu te penchas, prête à tout engloutir.



Il était temps.



Le top départ avait sonné ! Comme s’ils n’avaient pas mangé depuis des jours, les concurrents s’étaient lancés sur les plats sans une seconde pensées. Le bruit des couverts ne tarda pas à emplir la pièce, dans une drôle de symphonie. Des encouragements résonnaient, de la part des participants. Des familles, des amis, venus soutenir leurs proches face à cette épreuve de détermination et d’appétit.

Ta stratégie ? Elle était simple. Manger les nouilles, puis le bouillon. Tu n’étais peut-être pas un génie, mais c’était simple à comprendre que ton ventre supporterait bien mieux l’opération de cette manière !

Et quel dommage dans un sens ! Oh, que tu aurais aimé savourer la moindre saveur de ce délice ... Mais il n’y avait pas le temps pour ça ! Pour chaque seconde qui s’écoulait, tu vidais un peu plus le bol ... Avant de jeter un nouveau coup d’œil à ton maitre, pour voir s’il s’en sortait, de son côté.

Cette course, c’était un marathon. Pas un sprint. Il fallait pouvoir garder le rythme et, sur le long terme, c’est votre stratégie qui gagnerait. C’était de la simple logique. Le bouillon pouvait couler entre les aliments dans vos estomacs, mais ceux-ci, s’ils arrivaient après, ne feraient que flotter et prendre encore plus de place. Dans tout tes efforts, même les plus ridicules, tu cherchais à faire au mieux. C’est comme ça que Feng t’avait appris à faire les choses : à fond. Pour une âme orpheline comme la tienne, tout à toujours été une compétition et ce, depuis le plus jeune âge. Au point où tu as commencé à ne plus savoir comment fonctionner autrement qu’en te mettant des défis, toujours plus haut, toujours plus durs. Finalement, engloutir tout ça, c’était comme une pause. Dynamique, mais une pause.

Et c’était génial de voir ton mentor se lancer à fond dans l’aventure et ce, malgré sa première réticence. Peut-être même un peu trop ? L’homme avait toujours été un peu vicieux. Pas dans le mauvais sens ! Enfin, pas totalement ! C’était quelque chose qu’il mettait au service de vos missions, pour protéger les âmes innocentes des deux mondes. Sauf là. Le poison n’était pas une option, quand bien même tu voulais gagner.

Entre deux lampées de bouillon, tu marmonnas en reprenant ton souffle.

« Il est passé où votre discours sur les âmes simples ? »

C’était la douce ironie de la situation. Mais au fond, il savait bien la réponse à sa propre question. Non, tu n’avais pas appris à concocter toxines et autre étrange mixture, au cours d’une nuit. Tu étais toujours la force brute qu’il connaissait, dans toute sa splendeur. Soudainement, tu soulevas l’immense récipient, dans lequel attendait encore une partie du liquide pour l’avaler d’une traite. Enfin, tu atteignais le fond du premier bol, un grand sourire aux lèvres, tandis que déjà, les premiers abandons sonnaient, face à la taille copieuse du repas.

« Premier round terminé ! ~ »

Déclaras-tu fièrement alors qu’à tes côtés, ton mentor avalait ses propres dernières gorgées, plus difficilement que toi visiblement. C’était à se demander où toute cette nourriture passait, vue ta taille et ton gabarit. Mais tu avais appris à Feng à se méfier des apparences. Tu avais beau être l’une des plus petites et fluettes des sièges, tu faisais partie de ceux ayant la plus grande force physique et une très bonne maîtrise de ton arme, en plus de cela.

« Vous êtes prêts pour le second round ?? »

Cria le chef, les poings sur les hanches, un sourire machiavélique aux lèvres, alors que les éliminés quittaient leurs tables, en se tenant la panse. Toi ? Oh. Tu avais bondi, les mains en l’air, le visage solaire et plein d’énergie, pour répondre à l’homme.

« Ouais ! Amenez-vous ! »

Si la provocation était une forme d’arme sur un champs de bataille, ici, elle n’était qu’une manière d’exprimer la joie et la motivation qui t’enflammait en ce moment même. Ce brasier, qui t’emmènerait jusqu’en finale, et te permettrait de remporter le grand prix.

Les bols s’enchainèrent. D’abord amer, puis étrangement sucré, en passant par des mélanges surprenant, le chef montrait ses grandes capacités culinaires à chaque tour. Et à chaque fois, des duos se reculaient, incapables de continuer. Mais pas vous ! Oh non ! Il était hors de question de reculer si proches du but.

C’est ce que tu pensais, juste avant de voir le dernier bol. Celui qui déclarerait le gagnant, dans une course de vitesse. Alors que la foule échangeait gaiement des pronostics sur les gagnants, entre l’équipe de frêles Shinigami et celle d’experts de cde genre de concours, les plats sortirent de cuisine, et soudainement, un silence gagna la pièce.

Déjà, le nez te piquait, sévèrement, alors que face à toi, le bouillon écarlate remuait, dans un terrifiant gargouillis, que le chef introduisit fièrement.

« Pour des âmes aussi ardentes que les votre, je devais terminer en beauté ! Avec un défi, au-dessus des autres ! »

« Vous ... vous savez, on est pas capable d’avaler de la lave, hein ... »

Il s’en foutait. Le sourire diabolique du patron disait tout ce qu’il pensait. Il n’allait pas donner un an gratuit de repas à des peureux. Petit hic ... Ton professeur avait en horreur le piment. C’était une réelle torture. Rien qu’à la manière dont le pauvre observait le plat face à lui ...

« Sensei, je vais m’en charger ! Je vais m’occuper des deux bols ! Je vais pas vous imposer ça ... »

Tu étais prête à te faire fondre l’estomac pour lui permettre d’échapper à ce terrible supplice. D’un geste confiant, tu remontas un peu plus tes manches sur tes petits bras, l’air sérieux, et ce, malgré l’enfer que tu t’apprêtais à affronter.