Était-ce de la chance, un hasard ou bien un destin incongru qui avait poussé Momoe à se tenir là, précisément à ce moment-là, dans cette ruelle, quand l'accident se produisit? Elle n'était alors que de passage dans le village, une visite de routine à quelques personnes qu'elle avait l'habitude de voir en raison d'une santé un peu fragile. S'il était parfois courant qu'on la quémanda directement à la capitale, elle préférait la simplicité et effectuer par elle-même quelques tournées. Cependant, là, alors qu'elle s'apprêtait tout bonnement à rentrer, elle fut témoin, malgré elle, d'un bien terrible accident.

Deux carrioles étaient entrées en collision et toutes deux s'étaient lourdement renversées. Naturellement, l'instinct de l'orientale la poussa à venir s'enquérir des blessés et la première âme vers elle se tourna fut un austral, d'une élégante stature et aussi peu vêtu que ce que l'on pouvait s'attendre des gens du Sud, Zorvân Ashkan. Ses mains se glissèrent autour de lui afin de l'aider à se relever, tandis que son regard était déjà animé par le sérieux de la doctoresse qu'elle était.



Son regard céruléen semblait l'analyser de haut en bas, comme si elle cherchait à ne pas voir de plaies trop graves. Quelques légères abrasions, des ecchymoses tout au plus. Mais quand elle croisa son regard, elle comprit que quelque chose de plus n'allait pas. Et c'était à cet instant-là, quand quelques explosions de fusée commencèrent, qu'elle comprit tout le danger de la situation.



Conservant malgré tout son froid, elle tourna son attention vers l'austral avant de lui jeter un air sérieux.



Après. C'était ce qu'elle aurait aimé dire avant qu'une nouvelle explosion tonitruante se fit entendre. Une fusée, plus grosse encore que les premières, se mit à brûler dans le ciel en dessina le profil d'un dragon. Les choses pouvaient si terriblement dégénérer, il fallait agir vite.



Il fallait user des moyens du bord et malheureusement pour elle, Momoe était une shinigami dont les compétences étaient inutiles en de telles circonstances, hormis celles qui lui permettaient de s'imposer quelque peu et d'obliger hommes et femmes des environs à suivre les ordres données. Ainsi, quelques personnes serviables s'employèrent à utiliser leur bassine et seau, jetant le tout sur les carrioles afin d'empêcher toute mèche de prendre feu. Quant à la Fujiwara, elle ne resta pas en reste et chercha à éteindre les fusées qui crépitaient sur le sol, coupant les mèches sans se soucier de se brûler un peu les doigts ou bien en jetant de la terre par-dessus.

Est-ce que tout geste de bonté pouvait être raisonnablement bien accueilli ? Visiblement, cela ne semblait pas être toujours le cas, alors que Momoe s'était tout naturellement rendu auprès de l'un des hommes que les feux avaient surpris. Alors qu'elle posa brièvement son regard sur lui, il lui était aisé de constater qu'il respirait une certaine fierté et condescendance dont elle crut en comprendre la nature par les manières. Dorloté, avait-il dit ?



Quand bien même la doctoresse était d'un esprit naturellement conciliant, faute du poids des années, elle ne pouvait s'empêcher de porter sur l'individu un nouveau regard, d'autant qu'elle eut le loisir d'entendre les commentaires désagréables qui se permit de débiter aussitôt l'accident en cours. Cependant, la priorité n'était pas au jugement mais bel et bien à la contenance des dégâts. Peut-être se montrait-il si ainsi uniquement parce qu'il fut victime ? Elle voulait lui laisser le bénéfice du doute... jusqu'à un certain point.

Ashkan Zorvân, tel était son nom, et ce dernier serait assez difficile à oublier tant il fit mauvaise impression à la jeune femme. Elle avait déjà connu des hommes acariâtres, mais l'austral venait peut-être d'emporter l'une des premières places. Non seulement Momoe aurait pu voir dans l'emploi du "sans doute" un jugement possible sur ces compétences, mais il venait aussi d'insulter son peuple, de simples civils à qui la faute de l'accident ne revenait pas. Mais puisqu'il semblait assez téméraire pour s'occuper de la gérance du cataclysme pyrotechnique...



Elle s'en détourna pour s'occuper des quelques âmes blessées. De toute façon, elle n'eut pas le temps d'effectuer un retour de présentation que Zorvân donnait déjà des ordres. C'était ainsi que pendant que la relève s'occupait des feux, Momoe passa de passants en passants pour les pousser à s'écarter des lieux. Elle s'occupa même d'une enfant qui était en larme, apeurée et immobilisée par la peur des explosions.



Il en fut ainsi pendant de pénibles minutes, tandis que les curieux s'agglutinaient malgré tout, ne serait-ce que pour percevoir les explosions dans le ciel, iluminées le bleu du jour avec une multitude de couleurs. Cherchant alors du regard à savoir si tout danger était écarté, la Fujiwara s'approcha d'un pas tranquille en direction de l'austral... quand il ne put retenir un nouveau commentaire acerbe. C'était à son tour de faire preuve de cynisme, il fallait dire qu'elle n'arrivait plus à se contenir...



La shinigami d'Orient ne connaissait en réalité que quelques rumeurs et on-dit de la région de Hégréa, ainsi les propos contradictoires que l'on pouvait tenir au sujet de la sultane Mithra. Généralement, Momoe n'était pas d'une nature à y accorder la moindre importance, mais pour qu'un homme aussi arrogant en fut si catastrophé... Mais maintenant qu'elle avait peut-être attiré son attention, elle profita de l'occasion pour enfin effectuer les présentations.



Malgré ses propos, la voix de la doctoresse n'était en rien agressif, bien au contraire, il y avait en sa tonalité quelque chose d'aussi doux qu'un peu froid. Elle finit par porter ses yeux céruléens sur Ashkan, le regardant de haut en bas, avant de laisser échapper un soupir qui aurait pu paraître désolé.



Un tel homme ne devait pas avoir besoin d'aide, non ? Ou bien serait-il assez habile pour trouver une parade et finalement profiter de ce qu'elle pourrait faire pour lui ?