Visite au goût amer

Il devenait dingue, il commençait vraiment à devenir dingue.

Jadis ces couloirs avaient été la seconde maison du Takamoto mais, depuis quelques semaines à présent, il redoutait le moment où il allait devoir les arpenter, le moment où il allait devoir affronter les regards et les murmures dans son dos. Comment avait-il pu en arriver là ? Comment avait-il pu tomber si bas, de craindre les regards qu'on pouvait lui lancer, au détour des couloirs ? De sentir sa peau frissonner à la simple mention de son nom, ou l'un de ses surnoms, au détour d'une conversation discrète ? Cela durait depuis des semaines, mais Sanosuke avait l'impression que cette sensation n'avait fait qu'empirer, ces derniers jours.

Il était guerrier. Toute sa vie il avait été entraîné pour combattre l'ennemi devant lui, pour être le bouclier entre ces monstruosité masquées et les âmes humaines que chaque shinigami devait défendre. Il n'était pas assez naïf pour croire que son chemin se terminerait autrement que violemment, brutalement. Il avait accepté cette évidence depuis qu'il avait empoigné son asauchi, la toute première fois, et il se l'était rappelée à chaque fois qu'il devait manier cette arme, pour autre chose qu'un entraînement. C'était le risque qu'il prenait, à chaque fois qu'il sortait et, pour avoir perdu ses parents, il savait à quel point ce prix à payer était réel. Et pourtant, d'une certaine façon, il aurait espéré rejoindre ses parents, plutôt que d'en être là où il était, aujourd'hui. La marque marquait une fin, une ligne d'arrivée alors que lui, il était condamné à être coincé dans ce corps qui n'arrivait plus à suivre le rythme, pour...combien de temps encore ? Les spécialistes du kaidō ne semblaient pas sur le point de pouvoir régler son affliction, de sitôt. En attendant, il était donc coincé dans cette enveloppe qui s'essouflait beaucoup trop vite.

La rumeur s'était répandue comme une traînée de poudre et, maintenant que sa rétrogradation était officielle, les discussions se faisaient plus intenses et surtout moins discrètes. Il ne voulait pas entendre, accepter, ou faire face. Il voulait simplement rentrer jusqu'à ses modestes quartiers, manger, essayer de dormir, puis se lever aux aurores, le lendemain, pour éprouver une fois encore les limites de ce corps, comme il le faisait tous les jours depuis cet...incident.

Jadis il marchait, la tête haute. Aujourd'hui, il avait l'impression de raser les murs.

Vêtu de sa sombre tenue de service, ce fut avec le regard vide que Sanosuke monta au premier étage, laissant son corps guider ses pas jusqu'à son logement. Son regard balaya l'endroit vide de toute décoration, alors qu'il faisait coulisser la porte pour y pénétrer. Ce n'était pas aussi grand et luxueux que ses quartiers dans la propriété familiale mais il allait devoir s'y habituer, puisqu'il n'avait techniquement plus de « chez lui » à présent. Hum, avec quelques objets çà et là, peut-être pourrait-il rendre ce logement plus accueillant que simplement fonctionnel, non ? Soupirant à cette seule idée, il vint desserrer un peu sa tenue, avant d'attraper un large haori aux teintes bleu-gris, qu'il posa sur ses épaules. Il avait perdu en muscles depuis l'incident alors, aussi longtemps qu'il serait aussi...svelte, mince, maigre, il préférait user de vêtements plus amples pour faire subterfuge.

A peine allait-il se poser, pour essayer de mettre de l'ordre dans ses idées, qu'un bruit se fit entendre à la porte. Qui ? N'étant pas en odeur de sainteté auprès de beaucoup de personnes, les visites se faisaient plutôt rares, ces temps-ci. Surpris, Sanosuke lâcha sur son ton habituellement blasé et neutre :



N'attendant pas la réponse, l'officier serra les dents, alors qu'il puisait dans ses minces réserves d'énergie pour se redresser, au prix d'une douleur lancinante dans les jambes. Prenant une profonde respiration, pour se donner le temps d'être un minimum présentable, le Takamoto s'approcha de la porte et, en l'ouvrant, identifia rapidement la personne devant lui.



Il n'y avait bien qu'une personne de qui il était assez proche, pour l'appeler par un tel diminutif. Le reste du temps il était distancier et poli, comme sa fonction l'exigeait, mais avec @Nagamine Toshiro  c'était différent. Ils n'étaient pas juste collègues mais aussi amis, très bons amis même, ce qui expliquait que Sanosuke se permettait une telle proximité.

Restait maintenant à savoir ce que monsieur positif venait faire ici, après le service.

Visite au goût amer

Même après toutes ces années, Sanosuke réalisait que lui et Toshiro n'avaient pas grand chose en commun, à part leur travail, leur goût pour les femmes et les boissons alcoolisées. Contre vents et marées, rien ne semblait pouvoir tteindre Toshiro, monsieur positif, à l'inverse de son camarade bien plus prompt à ressentir les émotions négatives, par habitude sans doute. Et pourtant, peut-être était-ce justement cette différence qui avait fini par réunir les deux hommes, comme s'ils reconnaissaient en l'autre quelque chose dont ils avaient besoin.
Mais aujourd'hui Sanosuke ne pensait pas pouvoir amener grand chose à la table. Son esprit s'était assombri durant les dernières semaines mais, de toute évidence, Toshiro semblait tout de même déterminer à imposer sa présence, après le service. Souriant face à la remarque de l'homme, Sanosuke corrigea d'un :

Depuis quand n'avait-il pas eu de visite d'une telle sorte, d'ailleurs ? Longtemps, beaucoup trop longtemps, de toute évidence. Mais ce n'était pas le moment de penser à cela. Il devait se concentrer sur la conversation en cours et, quand Toshiro mentionna les plans qui étaient prévus, le Takamoto retint un petit soupir, confus, avant de frotter l'arrière de sa tête en admettant :

Et c'était sans doute l'euphémisme de la décennie. Jadis il buvait pour s'amuser et se changer les idées mais, si ce soir il buvait, ce serait plus pour oublier que réellement s'amuser. Cela en valait-il la peine ? Fort heureusement Sanosuke n'eut pas à donner le change guère longtemps car, avant de venir ici, il était passé à la maison...ce qui  n'augurait pas une plaisante conversation.  Alors il avait vu son frère, il était donc au courant de sa...nouvelle situation. Lâchant un soupir de lassitude, conscient qu'il ne servait plus à rien de garder ce masquer, il confirma alors :

Sans se faire prier il vint s'asseoir à côté de son camarade, serrant les deux face à la flexion nécessaire, avant d'attraper la tasse de saké qui lui était tendue.Un cadeau bienvenu, en des temps bien sombres.  Avalant le liquide alcoolisée précautionneusement, il confirma alors à son camarade la raison pour laquelle il n'était plus le bienvenu, chez lui.

Passant une main sur son visage, repensant encore au moment où il avait été éjecté, une certaine colère presque éteinte sembla se raviver à nouveau, l'espace d'un instant. Tendant sa coupe pour demander à son ami de le servir à nouveau, il admit enfin que, malgré tout cela, sa combativité était toujours bien présente...juste moins accessible.

Visite au goût amer

Sanosuke n'avait jamais été doué pour se faire des amis, car il n'en avait jamais vu l'intérêt, mais avec Toshiro c'était bien différent. Il n'avait pas besoin d'essayer ou de se forcer et, surtout, Toshiro ne feignait pas l'intérêt qu'il portait au Takamoto, ce qui était étonnant pour ce dernier. Aussi, en attrapant la coupelle qui lui fut tendue, Sanosuke ne manqua pas de s'en délecter doucement, tout en avouant que la raison de son silence était que :



Mais il savait que ce n'était pas sain. Il savait que la compétition avait ses limites, mais sa fierté était encore trop blessée, écorchée vive, pour qu'il ne soit prêt à rentrer dans les détails. Posant la coupelle vide à sa droite, ramener sa jambe droite pliée contre son torse, le jeune homme ne put s'empêcher de rire quant à la mention de la lumière dans les ténèbres. Amusant, quand on connaissait la nature même de son pouvoir. Prenant une courte pause, le jeune homme fut contraint d'admettre que, en ce moment, l'espoir semblait vraiment hors de sa portée, bien que cela lui coûtait de l'admettre.



Lorsque la mention de l'altercation avec son frère fut remise sur le tapis, Toshiro avait l'air de croire que, si les roles avaient été inversés, le cadet se serait montré plus...digne, plus honorable. Un concept qui fut sourire le concerné, car il n'en était même pas sûr, lui-même.



Mais bon, il n'aurait jamais la réponse. Peut-être était-ce mieux ainsi. Peut-être fallait-il que Sanosuke tombe plus bas que terre, pour réaliser quel genre de personne il était réellement. N'était-ce cela qu'on disait ? Qu'en était au pied du mur, on finissait par se découvrir vraiment ? Il espérait que cette révélation vienne vite car, très franchement, il était fatigué de ne voir que du noir partout, en ce moment.



C'était sans doute la chose la plus difficile qu'il ait eut à admettre, depuis un moment et, de toute évidence, il n'en avait pas fini avec les révélations. Toshiro voulait savoir. Voulait connaître les détails. Voulait connaître la vérité et, si Sanosuke était tenté de ranger tout ceci sous le tapis, il savait que ce n'était pas la bonne solution. Il ne pouvait pas faire le chemin complet, tout seul. Pas dans cet état en tout cas. Alors, aussi difficile que cela le soit, il allait devoir commencer à parler. Pourquoi ne pas commencer par son ami ? Prenant une profonde inspiration, reprenant une position assise à peu près normale, il commença à se remémorer les événements de ce jour-là, avec un certain poids dans la voix.



Joignant le geste à la parole, il leva ses mains et écarta les deux pans de son haut, révélant les cinq marques de griffes qui avaient percé son torse, comme si ce n'était qu'une vulgaire feuille de papier, quelques semaines encore. Dans cette position, il était difficile de comprendre comment il avait pu s'en sortir mais, malgré tout...il était bien là, à peu près entier, mais plus vraiment la même personne que jadis. Refermant les deux pans de son haut au bout de quelques secondes, il conclut en précisant que :

Visite au goût amer

Sanosuke ne donnait pas sa confiance à n'importe qui. Il était un homme secret, renfermé sur lui-même et avare en paroles, mais pourtant Toshiro avait gagné cette confiance, au fil des décennies passées ensemble. Cette confiance était méritée, même si Sanosuke avait l'impression de ne pas le rappeler assez souvent. Toshiro était le premier vers qui Sanosuke souhaitait se tourner, lorsque la nuit était la plus sombre et, aujourd'hui, ce fut presque sans aucune retenue que le vingtième siège dévoila les détails de ses récents déboires. Le Nagamine, monsieur verre-à-moitié-plein comme toujours, essaya de nuancer l'importance du rang par un trait d'humour qui, sans pour autant arracher un sourire à Sanosuke, extirpa une simple réponse.



Le symbole d'une réussite, d'un travail acharné pour en arriver là et, aujourd'hui, le voilà de retour à la case départ. Ce n'était pas juste, et il savait que la vie ne l'était pas, mais son instinct était de chercher des solutions pour équilibrer la balance, dans la mesure du possible. Son ami, lui, semblait vouloir aider et, si l'officier appréciait évidemment le geste, il décida de le prendre aux mots en confirmant que :



Sanosuke avait toujours eu une bonne mémoire. Alors, à mesure qu'il contait les détails à son ami, la scène se rejouait dans un coin de sa tête. Colère, douleur, peine et frustration tourbillonnaient dans son esprit, ne laissant que chaos et désolation sur leur chemin, alors qu'il essayait de trouver un sens à tout ceci. Il savait qu'il devait retrouver cette créature masquée pour lui demander pourquoi. Pourquoi lui ? Pourquoi lui avoir sauvé les miches ? Pourquoi ne pas l'avoir achevé, quand elle en avait l'occasion ? Pourquoi être intervenue, tout simplement ? Personne n'avait su lui donner de réponse et, instinctivement, Sanosuke savait qu'il devrait retourner là-bas, lui-même, pour essayer de retrouver la créature. Mais il ne pouvait pas le faire pour le moment, pas dans un tel état de faiblesse, alors il devrait se reprendre en main.



Le Takamoto savait que l'enfant n'avait pas été la raison premier de son agissement. Cela avait aidé à justifier sa décision, certes, mais il avait surtout vu là-dedans l'occasion d'affronter et pourfendre un puissant adversaire. Mais il avait mal jaugé la puissance de l'adversaire, l'avait sous-estimé et il allait en payer le prix, peut-être même pour le restant de son existence. Car oui, les médecins étaient assez flous dans leurs explications, ce qui n'aidait guère le patient à se projeter, quant à ses possibilités d'avenir comme soldat. Il n'aimait pas en parler, mais à son ami au moins il put avouer que :



Terminant la coupe de saké qui lui fut tendue, sentant ses entrailles se réchauffer sous l'effet du liquide, Sanosuke se remémora certaines scènes, certains entretiens, certains médecins, et décida d'en extraire quelques informations. Ainsi, déviant toujours son regard sans pouvoir soutenir celui du Nagamine, il conclut d'un froid :